Expérimenter la mise en œuvre d'une maîtrise d'usage dans un projet de conception : Apports du dialogue collectif et organisé autour de la qualité du travail à la conduite de projet en ergonomie
Sous la direction de Fabien Coutarel et Antoine Bonnemain
Résumé
Les conduites de projets de conception – architecturaux, industriels ou organisationnels – sont généralement structurées autour de deux instances : la maîtrise d’ouvrage (MO), porteuse des objectifs stratégiques et politiques, et la maîtrise d’œuvre (MOE), garante de la faisabilité technique et de la réalisation. Pourtant, la littérature en ergonomie souligne un manque persistant: la prise en compte insuffisante de l’activité réelle des futurs utilisateurs dans les choix de conception (Daniellou, 2004). Ce manque peut conduire à des dysfonctionnements organisationnels, des inadéquations entre les espaces ou les outils, des difficultés d’appropriation par les utilisateurs finaux, etc., dont les conséquences relèvent à la fois d’atteintes à la santé par le travail et de performances insatisfaites.
Le courant de l’ergonomie de l’activité a ainsi construit une proposition originale dans la littérature, que l’on peut résumer ainsi : des conditions favorables essentielles à l’activité future probable des différents utilisateurs d’un système se conçoivent durant les projets. Si certaines peuvent évoluer dans le fonctionnement ultérieur de l’organisation, d’autres sont figées durablement, conduisant à des conditions dégradées d’activité. Les propositions successives de ce courant de recherche ont donc cherché à formaliser les conditions de conduite de projet les plus favorables, cheminant depuis des exigences de participation établies dans les années 1980-1990, jusqu’à la proposition récente d’installer une maîtrise d’usage (MU) (Folcher, 2015). Cette nouvelle instance, complémentaire à la MO et la MOE, institue la nécessité d’une réflexion poussée sur les usages, là où la participation des futurs utilisateurs était jusque-là souhaitable. Ces derniers deviennent alors des acteurs à part entière du processus de conception. Cette proposition théorique s’inscrit également dans une orientation récente du courant de l’ergonomie de l’activité : l’affirmation de plus en plus assumée et collective d’une ambition développementale (Falzon, 2013 ; Arnoud et al., 2022).
Cette proposition reste aujourd’hui à opérationnaliser, notamment dans le cadre d’un projet de conception, et un certain nombre de questions demeurent quant à sa constitution, son animation, son articulation avec les autres instances.
À ce titre, les apports de la psychologie du travail, et plus particulièrement de la clinique de l’activité, pourraient être précieux. En effet, la qualité du travail (Clot et al., 2021), bien qu’essentielle à la performance et à la santé au travail, reste souvent sous-discutée dans les milieux de travail, et en particulier dans les projets de conception où la projection collective sur l’activité future probable reste une difficulté. Faire de la qualité du travail un objet de dialogue entre les utilisateurs, la MO et la MOE permettrait d’explorer les contraintes, besoins et perspectives des uns et des autres, et ainsi de produire des orientations de conception plus robustes et légitimes.
C’est dans ce contexte que s’inscrit ce projet de recherche, dont l’objectif est d’expérimenter et de développer, au sein d’un projet de conception, une MU en s’appuyant sur un dialogue collectif organisé autour de la qualité du travail. Cette thèse se veut ainsi une collaboration pluridisciplinaire entre les approches ergonomiques de la conception et l’approche dialogique développée en psychologie du travail et clinique de l’activité.
Ce projet ambitionne de montrer que le dialogue, lorsqu’il est structuré et outillé, peut devenir un levier puissant pour enrichir les prises de décisions et les choix de conception. En faisant émerger une MU légitime et opérationnelle, il vise à explorer de nouvelles manières de penser et de conduire les projets de conception, où les usages réels et futurs sont appréhendés non comme des contraintes, mais comme des ressources au service de la performance de la conduite de projet, de la santé et de l’efficacité au travail des futurs utilisateurs.
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